2

 

 

Nirgal avait l’impression qu’un étau se resserrait chaque jour davantage sur lui. Maya s’en plaignait et gémissait aussi. Michel et Sax semblaient indifférents. Michel était heureux de faire ce voyage, et Sax était absorbé par l’examen des rapports émanant de Pavonis Mons. Ils vivaient dans l’anneau en rotation de l’Atlantis. Pendant les cinq mois du voyage, l’anneau accélérerait jusqu’à ce que la force centrifuge passe de l’équivalent de la gravité martienne à celui de la gravité terrienne, auquel elle se stabiliserait dès le milieu du voyage. Cette méthode avait été perfectionnée au fil des années pour permettre aux émigrants qui décidaient de rentrer chez eux, aux diplomates qui faisaient l’aller et retour et aux rares indigènes martiens qui entreprenaient le voyage de s’habituer à la pesanteur terrestre. C’était toujours pénible. Quelques indigènes étaient tombés malades sur Terre. Il y avait eu des morts. Il était important de rester dans l’anneau rotatif, de faire ses exercices, de recevoir tous les vaccins.

Tandis que Sax et Michel s’entraînaient sur les machines, Nirgal et Maya marinaient dans les cuves en s’apitoyant sur leur sort. Mais si Maya se délectait de ses malheurs – elle paraissait se repaître voluptueusement de toutes ses émotions, y compris la colère et la mélancolie –, Nirgal était vraiment désespéré. L’espace-temps le tordait comme une serpillière, et chacune des cellules de son corps hurlait de douleur. L’effort nécessaire ne fût-ce que pour respirer l’effrayait. Il avait peine à croire qu’une planète puisse être aussi massive.

Il essaya d’en parler à Michel, mais Michel avait autre chose en tête. Il ne pensait qu’à ce qui les attendait. Sax, quant à lui, était obsédé par ce qui se passait sur Mars. Nirgal se fichait pas mal du congrès de Pavonis. Il estimait que ça ne changerait pas grand-chose au bout du compte. Les indigènes avaient vécu comme bon leur semblait sous l’ATONU et ils continueraient sous le nouveau gouvernement. Jackie arriverait peut-être à se tailler une présidence sur mesure, et ce serait fort regrettable, mais de toute façon, leur relation avait bizarrement tourné. C’était devenu une sorte de télépathie qui rappelait parfois leur ancienne passion mais lui faisait plus souvent penser à une rivalité perverse entre frère et sœur et parfois même aux combats internes d’un esprit schizoïde. Ils étaient peut-être jumeaux – Dieu seul savait à quel genre d’alchimie Hiroko s’était livrée dans les réservoirs ectogènes – mais non, Jackie était la fille d’Esther. Il le savait. Comme si ça voulait dire quoi que ce soit. Parce que, à sa grande consternation, il avait l’impression qu’elle était un autre lui-même, et il ne voulait pas de ça, il ne voulait pas que son cœur se mette à cogner dans sa poitrine chaque fois qu’il la voyait. C’était l’une des raisons qui l’avaient décidé à partir pour la Terre. Et voilà : il s’éloignait d’elle à la vitesse de cinquante mille kilomètres à l’heure, et elle était encore là, sur l’écran, ravie de l’avancement des travaux du congrès, ravie du rôle qu’elle y jouait. Elle ferait partie des sept membres du nouveau conseil exécutif, c’était couru d’avance.

— Elle compte sur l’histoire pour reprendre son cours normal, disait Maya alors qu’ils regardaient les infos, depuis leurs providentielles baignoires. Le pouvoir est comme la matière, il a une gravité, il s’agglutine et il attire de plus en plus de choses à lui. Ce pouvoir local, réparti entre les tentes…

Elle eut un haussement d’épaules désabusé.

— C’est peut-être une nova, risqua Nirgal.

— Peut-être, acquiesça-t-elle en riant. Mais il recommencera à s’agglutiner. C’est la gravité de l’histoire : le pouvoir est attiré vers le centre, il y a parfois une nova. Puis l’attraction repart. Ce sera pareil sur Mars, tu verras ce que je te dis. Et Jackie sera au beau milieu.

Elle s’arrêta net avant d’ajouter la salope, par égard pour Nirgal, et le regarda du coin de l’œil en se demandant comment le manœuvrer pour faire avancer son combat personnel, sa guerre sans fin avec Jackie. Les petites novas du cœur.

Les dernières semaines à la pesanteur terrestre passèrent sans que Nirgal s’y fasse. C’était affolant de sentir cette étreinte croissante lui bloquer la respiration, les idées. Il avait mal à toutes les articulations. Sur les écrans, il voyait des images de la petite bille bleu et blanc qui était la Terre, avec sa lune, ce bouton d’os à l’air étrangement plat et mort. Mais ce n’étaient que des images parmi tant d’autres, elles ne voulaient rien dire pour lui, à côté de ses pieds endoloris et de son pauvre cœur qui battait la chamade. Puis le monde bleu creva soudain tous les écrans, pareil à une fleur fraîchement éclose, avec la ligne blanche de son limbe incurvé, son eau bleue ornée de tourbillons de coton blanc, ses continents sortant du filigrane des nuages comme de petits rébus, des survivances d’un mythe à moitié oublié : l’Asie. L’Afrique. L’Europe. L’Amérique…

Pour la descente finale et la décélération, la rotation de l’anneau fut stoppée. Nirgal plana, avec l’impression d’être désincarné et pareil à un ballon, vers une fenêtre afin de voir ça de ses propres yeux. Malgré l’épaisseur de la paroi de verre et les milliers de kilomètres de distance, il fut frappé par la finesse des détails, leur netteté, leur précision.

— L’œil a un tel pouvoir, dit-il à Sax.

— Hum, fit Sax en s’approchant de la vitre pour regarder à son tour.

Ils observèrent la boule bleue de la Terre, en dessous d’eux.

— Tu n’as jamais peur ? demanda Nirgal.

— Peur ?

— Tu sais bien. (Pendant ce voyage, Sax n’avait pas été dans sa phase la plus cohérente ; il fallait lui expliquer beaucoup de choses.) La peur. L’appréhension. La crainte.

— Oui. Je crois que si. J’ai eu peur, oui. Récemment. Quand j’ai découvert que j’étais… désorienté.

— J’ai peur, maintenant.

Sax le regarda curieusement. Puis il flotta vers lui et posa la main sur son bras avec une gentillesse dont il n’était guère coutumier.

— Nous sommes là, dit-il.

 

Plus bas, toujours plus bas. De la Terre partaient maintenant dix ascenseurs spatiaux dont plusieurs étaient des câbles bifides dont les deux brins distincts partaient l’un du nord, l’autre du sud de l’équateur, lequel manquait cruellement d’endroits adéquats pour des sites de ce genre. L’un des câbles fendus formait un Y qui partait de Virac, aux Philippines, et d’Oobagooma, en Australie Occidentale. Un autre partait du Caire et de Durban. Celui le long duquel ils descendaient se divisait à dix mille kilomètres au-dessus de la Terre, le brin nord partant de Port of Spain, dans l’île de Trinidad, et le brin sud du Brésil, près d’Aripuana, une ville-champignon située sur le Theodore Roosevelt, un affluent de l’Amazone.

Ils prirent le brin du nord, qui menait à Trinidad. De la cabine de l’ascenseur, le regard englobait presque tout l’hémisphère occidental, centré sur le bassin de l’Amazone, un fleuve café au lait qui serpentait dans les verts poumons de la Terre. De plus en plus bas. Au cours des cinq jours de leur descente, le monde se rapprocha au point d’occuper tout l’espace en dessous d’eux, et la gravité écrasante des dernières semaines les étreignit à nouveau lentement, les prit dans son étau et serra, serra, serra de plus en plus fort. Si Nirgal s’était un tout petit peu habitué à la pesanteur, cette accoutumance avait disparu au cours du bref retour à la microgravité et il hoquetait comme un poisson hors de l’eau. Chaque inspiration constituait un effort pour lui. Planté les jambes écartées devant les hublots, les mains crispées sur les rampes, il regardait à travers les nuages le bleu étincelant de la mer des Caraïbes, les verts intenses du Venezuela, le triangle sale que faisait l’Orénoque en se jetant dans la mer. L’horizon était un sandwich incurvé de bandes blanches et turquoise, surmontées par le noir de l’espace. Toutes les couleurs étaient si vives. Les nuages étaient comme sur Mars, mais plus épais, plus blancs, plus denses. Peut-être la gravité prodigieuse exerçait-elle une pression inhabituelle sur sa rétine ou sur son nerf optique pour que les couleurs palpitent et éclatent comme ça. Même les sons étaient plus forts.

Dans l’ascenseur, avec eux, se trouvaient des diplomates des Nations Unies, des membres de Praxis et des représentants des médias, qui espéraient tous que les Martiens leur consacreraient un peu de temps, leur parleraient. Nirgal avait du mal à se concentrer sur eux, à les écouter. Ils semblaient si étrangement inconscients de leur position dans l’espace, indifférents au fait qu’ils étaient à cinq cents kilomètres au-dessus de la surface de la Terre, ignorants de la vitesse à laquelle ils tombaient.

Le dernier jour fut long. Ils se retrouvèrent dans l’atmosphère, leur cabine descendit le long du câble vers le carré vert de Trinidad et un énorme complexe situé près d’un aéroport abandonné, dont les pistes faisaient comme des runes grises. La cabine de l’ascenseur s’insinua dans la masse de béton. Elle décéléra. Elle s’arrêta.

Nirgal décrocha ses mains de la rambarde et suivit lentement les autres. Un pas, un autre pas, tout le poids de son corps pesant sur ses pieds. Lent, lourd. Ils suivirent lentement, lourdement, une coursive. Il prit pied sur le sol d’un bâtiment, sur la Terre. L’intérieur du socle ressemblait à celui de Pavonis Mons, il avait une familiarité incongrue, car l’air était épais, lourd, chaud, salé, collant. Nirgal traversa les salles aussi vite qu’il put, pressé de sortir et de voir enfin à quoi ça ressemblait au-dehors.

Une véritable foule le suivait, l’entourait, mais les membres de Praxis comprenaient, ils lui ouvrirent la voie à travers la foule. Le bâtiment était immensément vaste, il avait apparemment raté l’occasion d’en sortir par une voie souterraine. Mais il y avait une porte derrière laquelle brillait une lumière éblouissante. Un peu étourdi par l’effort, il sortit dans une clarté aveuglante. Une pure blancheur. Ça sentait le sel, le poisson, les feuilles, le goudron, la merde et les épices ; comme dans une serre qui serait devenue folle.

Puis sa vue s’adapta. Le ciel était bleu, bleu turquoise comme la bande médiane du limbe qu’il avait vu de l’espace, mais plus clair ; blanc au-dessus des collines, d’un éclat de magnésium autour du soleil. Des taches noires volaient çà et là. Le fil noir du câble montait dans le ciel. Il baissa les yeux, ébloui. Des collines vertes dans le lointain.

Il les suivit en titubant vers un véhicule découvert, une antique petite voiture ronde, avec des pneus en caoutchouc. Une décapotable. Il resta debout à l’arrière, entre Sax et Maya, pour tout voir. Dans la lumière aveuglante, il y avait des centaines, des milliers de gens qui portaient des tenues stupéfiantes, des soies fluorescentes, rose, violet, bleu canard, doré, aigue-marine, des bijoux, des coiffes de plumes, des…

— C’est le carnaval, lui dit quelqu’un, depuis le siège avant de la voiture. Nous nous déguisons pour le carnaval. Et aussi pour fêter la Découverte, le jour où Christophe Colomb a touché l’île. C’était la semaine dernière, mais nous avons poursuivi les festivités en votre honneur.

— Quel jour sommes-nous ? demanda Sax.

— Le Jour de Nirgal ! Le onze août.

La voiture avançait lentement dans les rues pleines de gens qui les acclamaient. Certains étaient vêtus comme les indigènes avant l’arrivée des Européens et poussaient des clameurs démentes, leurs bouches rose et blanc dans leurs faces brunes. Des voix musicales, à croire que tout le monde chantait. Leurs accompagnateurs parlaient comme Coyote. Il y avait des gens dans la foule qui portaient des masques de Coyote, des visages crevassés, convulsés, des têtes en caoutchouc qui faisaient des grimaces dont même Desmond Hawkins aurait été incapable. Et des mots… Nirgal pensait avoir rencontré sur Mars toutes les déformations possibles de l’anglais, mais il avait du mal à comprendre ce que disaient les gens, sans trop savoir pourquoi : l’accent, la diction, l’intonation. Il suait à grosses gouttes et il avait pourtant l’impression d’être brûlant.

La route pleine d’ornières menait, entre deux murailles humaines, vers un bref escarpement. Derrière se trouvait une zone portuaire, maintenant immergée sous une eau peu profonde. Les bâtiments se dressaient dans les flaques de mousse sale, bercée par des vagues invisibles. Tout un quartier changé en pataugeoire, les maisons pareilles à des moules géantes mises à nu, certaines éventrées, l’eau clapotante entrant et sortant par leurs fenêtres, des barques montant et descendant entre elles comme le flotteur d’une ligne à pêche. Les plus gros bateaux étaient amarrés à des lampadaires ou des poteaux électriques à la lisière des constructions. Plus loin, des bateaux aux voiles auriques gonflées par le vent donnaient de la gîte sur le bleu éclaboussé de soleil. Des collines vertes s’élevaient sur la droite, formant une grande baie ouverte.

— Les bateaux de pêche entrent toujours par les rues, mais les plus gros utilisent les docks de bauxite, au Point T, là-bas, vous voyez ?

Cinquante tons de vert différents sur les collines. Dans les creux, des palmiers morts, aux palmes jaunes, tombantes, marquaient la ligne de hautes eaux. Au-dessus, tout était éclaboussé de vert. Les rues et les bâtiments étaient taillés à la machette dans un monde végétal. Du vert et du blanc, comme dans les visions de son enfance, mais là, les deux couleurs primaires étaient séparées, contenues dans un œuf bleu de ciel et de mer. Ils étaient juste au-dessus des vagues, et pourtant l’horizon était tellement loin ! C’était la preuve irréfutable de l’immensité de ce monde. Pas étonnant qu’on ait pu croire que la Terre était plate. L’écume clapotant dans les rues en dessous faisait un bruit continu, aussi fort que les acclamations de la foule.

Au mélange de senteurs marines, végétales, vint s’ajouter une odeur de goudron portée par le vent.

— Le lac de Goudron, près de La Brea. Complètement à sec. Vidé. Il ne reste plus qu’un trou noir dans le sol, et un petit étang d’intérêt local. C’est ça que vous sentez, vous voyez, la nouvelle route ici, près de l’eau.

La route d’asphalte, des mirages de chaleur. Des gens aux cheveux noirs tassés le long de la route noire. Une jeune femme grimpa sur la voiture pour lui passer un collier de fleurs autour du cou. Leur odeur sucrée entra en conflit avec les effluves salés, piquants. Le parfum et l’encens, charriés par le vent végétal chaud, goudronné, poivré. Des tambours d’acier, étrangement familiers dans tout ce vacarme, et ça tapait, et ça cognait, ils jouaient de la musique martienne ici ! Sur les toits des maisons, dans la zone inondée, à leur gauche, ils avaient fait des patios de fortune. Ça puait les plantes pourries, l’air était saturé d’humidité, et le tout baignait dans une lumière d’un blanc de talc. Il était en nage. Les gens hurlaient de joie depuis les toits des maisons inondées, sur les bateaux, l’eau moussait, ondoyait, couverte de fleurs. Des cheveux noirs de jais, luisant d’un éclat chitineux. Une jetée de bois flottante sur laquelle étaient entassés plusieurs orchestres jouant des airs différents en même temps. Des points argentés, rouges et noirs voletaient sous leurs pieds : des écailles de poisson et des pétales de fleurs. Des fleurs qu’on leur jetait, soufflées par le vent, traînées de couleurs pures, jaune, rose, rouge. Le chauffeur de la voiture se retourna pour leur parler, oubliant la route.

— Écoutez-les taper sur leurs casseroles ! Ce sont les duglas qui jouent des socas. Écoutez-les, les virtuoses du baril de pétrole ! Les cinq meilleurs orchestres de Port of Spain.

Ils traversèrent un vieux, très vieux quartier, aux maisons faites de petites briques qui tombaient en poussière sous des toits de chaume ou de tôle ondulée. Tout était vieux, petit, même les gens étaient petits, bruns de peau.

— Les Hindous de la campagne. Les Noirs de la ville. Trinidad et Tobago ! Un mélange explosif, c’est ça, les duglas !

Il y avait de l’herbe partout, par terre, dans les ornières, dans toutes les fentes des murs et des toits, sur tout ce qui n’avait pas été récemment asphalté, c’était une explosion irrépressible de vert, jaillissant de toutes les surfaces du monde. Et l’air épais puait !

Puis ils émergèrent de la partie ancienne de la ville et se retrouvèrent sur un large boulevard goudronné, flanqué de grands arbres et de hauts bâtiments de marbre.

— Les gratte-ciel des métanats. Ils paraissaient immenses quand ils ont été construits, mais à côté du câble…

La sueur aigre, la fumée douceâtre, toute cette explosion de vert… Il dut fermer les yeux pour réprimer une nausée.

— Ça va ?

L’air bourdonnant d’insectes était tellement chaud qu’il ne pouvait en deviner la température. Elle dépassait son échelle personnelle. Il s’assit lourdement entre Sax et Maya.

La voiture s’arrêta. Il se releva péniblement, mit pied à terre. Il avait du mal à marcher. Il manqua tomber. Tout tournait autour de lui. Maya le retint fermement par le bras. Il se prit la tête à deux mains, s’astreignit à respirer par la bouche.

— Ça va ? demanda-t-elle âprement.

— Oui, répondit Nirgal en essayant de hocher la tête.

Ils étaient dans un ensemble de bâtiments tout neufs. Du bois, du béton, de la terre nue maintenant couverte de pétales écrasés.

Des gens partout, presque tous en costumes de carnaval. La brûlure du soleil derrière ses paupières, obstinément. On le mena vers une estrade de bois, avec à son pied une foule de gens qui criaient comme des fous.

Une belle femme aux cheveux noirs en sari vert, ceinturé de blanc, présenta les quatre Martiens à la foule. Les collines, derrière, s’incurvaient comme des flammes vertes sous un fort vent d’ouest. Il faisait plus frais à présent, et l’odeur était moins envahissante. Maya s’approcha des micros et des caméras, et les années fuirent à tire-d’aile. Elle parlait par petites phrases courtes, détachées, qui étaient acclamées en contrechant, antienne et répons, antienne et répons. Une étoile des médias que tout le monde regardait, d’un charisme rassurant, débitant un discours qui rappelait à Nirgal celui de Burroughs, quand elle avait rameuté la foule au parc de la Princesse, au point crucial de la révolution. Quelque chose dans ce goût-là.

Michel et Sax déclinèrent l’honneur de s’adresser à la foule et firent signe à Nirgal. Il resta un instant planté devant les gens et les collines vertes qui les soutenaient jusqu’au soleil. Il ne s’entendait plus penser. Un bruit blanc de joie, un son épais dans l’air épais.

— Mars est un miroir, dit-il au micro. Un miroir où la Terre voit sa propre essence. Le voyage vers Mars était un voyage purificateur, qui a mis à nu les choses les plus importantes. Ce qui a fini par arriver était fondamentalement terrien. Et ce qui est arrivé depuis, là-bas, n’est qu’une expression de la pensée terrienne, des gènes terriens. Voilà pourquoi, plutôt que de lui apporter un soutien matériel sous forme de matières premières ou de nouvelles souches génétiques, nous pouvons surtout aider notre planète mère en lui offrant le moyen de se voir telle qu’elle est. De dresser la carte d’une immensité inimaginable. Voilà comment, à notre modeste façon, nous jouons notre rôle en créant la grande civilisation qui frémit au bord de son devenir. Nous sommes les primitifs d’une civilisation inconnue.

Tonnerre d’acclamations.

— C’est l’impression que nous avons, sur Mars, en tout cas – une longue évolution à travers les siècles, vers la justice et la paix. Au fur et à mesure que les gens en apprennent davantage, ils comprennent mieux leur dépendance les uns envers les autres et envers leur monde. Nous avons compris sur Mars que la meilleure façon d’exprimer cette interdépendance était de vivre pour donner, dans une culture de compassion. Chaque individu libre et égal aux yeux de tous, travaillant avec les autres pour le bien général. C’est ce travail qui nous rend plus libres. La seule hiérarchie qui vaut d’être reconnue est celle-là : plus on donne, plus on devient grand. À présent, éperonnée par cette grande inondation, on la voit fleurir, émerger sur les deux mondes en même temps – la culture de compassion.

 

Il se rassit dans un tintamarre assourdissant. Puis ce fut la fin des discours et on les mena vers une sorte de conférence de presse animée par la belle femme au sari vert. Nirgal répondait à ses questions par d’autres, l’interrogeant sur le nouveau complexe de bâtiments qui les entouraient, sur la situation dans l’île. Elle s’efforçait de satisfaire sa curiosité, couvrant le brouhaha des commentaires et des rires de la foule enthousiaste massée derrière le mur de journalistes et d’appareils de prise de vue. La femme se révéla être le Premier ministre de Trinidad et Tobago. La petite nation composée de deux îles avait subi pendant la majeure partie du siècle précédent la domination de l’Armscor, une métanat, lui expliqua la femme. Depuis l’inondation, ils avaient rompu cette association. « Et tous les liens coloniaux avec, enfin ! » La foule accueillit ses paroles par des hurlements de joie. Son sourire reflétait le plaisir de toute une société. Il vit qu’elle était dugla, et d’une beauté stupéfiante.

Elle leur expliqua que les bâtiments où ils se trouvaient étaient l’un des innombrables hôpitaux qui avaient été construits sur les deux îles pour venir en aide aux victimes de l’inondation. Ç’avait été leur principale initiative en réponse à leur liberté nouvelle. Ces centres de secours fournissaient aux réfugiés un hébergement, du travail et des soins médicaux, y compris le traitement de longévité.

— Tout le monde a droit au traitement ? demanda Nirgal.

— Oui, répondit la femme.

— C’est formidable ! fit Nirgal, surpris, car il avait entendu dire que c’était une chose rare sur Terre.

— C’est ce que vous croyez ! répliqua le Premier ministre. On dit que ça va poser toutes sortes de problèmes.

— Oui. C’est même certain. Mais je pense que nous devons le faire quand même. Faire bénéficier tout le monde du traitement. On trouvera bien ensuite le moyen de s’en sortir.

Une ou deux minutes passèrent avant qu’ils aient la moindre chance de s’entendre à nouveau par-dessus les acclamations de la foule. Le Premier ministre s’efforçait de rétablir le silence lorsqu’un petit homme élégamment vêtu d’un costume marron sortit du groupe massé derrière elle, prit le micro et prononça quelques phrases entrecoupées par les rugissements de la foule déchaînée :

— Ce Martien, Nirgal, est un enfant de Trinidad ! Son papa, Desmond Hawkins, le Passager Clandestin, le Coyote de Mars, est de Port of Spain, et il a encore beaucoup de famille ici ! L’Armscor a acheté la compagnie pétrolière et elle a essayé d’acheter l’île avec, mais elle a choisi la mauvaise île pour ça ! Son cran, à votre Coyote, il ne l’a pas tiré du néant, Maestro Nirgal, c’est de Trinidad et Tobago qu’il le tient ! Il s’est promené partout là-haut pour apprendre à tout le monde la façon d’être sur Trinidad et Tobago, et maintenant ils sont tous duglas, là-haut, ils savent ce que c’est que d’être dugla, Mars tout entière est dugla ! Mars n’est qu’une grande Trinidad et Tobago !

La foule salua ses paroles par des hurlements de délire. Nirgal s’approcha de l’homme et l’embrassa impulsivement, avec un sourire radieux, puis il descendit de l’estrade et s’engagea dans la multitude qui se referma autour de lui. Un monde d’odeurs. Trop fortes pour penser. Il touchait les gens, leur serrait la main. Les gens le touchaient. Et cette lumière dans leurs yeux ! Ils étaient tous plus petits que lui, et ça les faisait rire. Chaque visage était un univers à lui seul. Soudain, des taches noires envahirent son champ de vision, tout s’obscurcit. Il regarda autour de lui, surpris. D’énormes nuages s’étaient massés sur une bande sombre de mer, à l’ouest, et avaient soudain masqué le soleil. Tandis qu’il serrait des mains, le nuage passa sur l’île. Ce fut la débandade. Les gens se réfugiaient à l’abri des arbres, des vérandas ou sous le toit de tôle ondulée des arrêts d’autobus. Maya, Sax et Michel étaient eux aussi perdus dans la foule. Les nuages gris foncé à la base se cabraient en rouleaux blancs aussi massifs que la pierre mais mouvants, et il en arrivait toujours. Une bourrasque de vent glacé souffla brutalement, puis de grosses gouttes de pluie frappèrent le sol, et les Martiens furent poussés sous un pavillon ouvert aux quatre vents, où on leur fit de la place.

Il se mit à pleuvoir comme jamais Nirgal n’aurait cru que ce fut possible. Des cataractes rugissantes s’abattaient dans des mares soudain changées en torrents, étoilées par un million d’impacts blanchâtres. Autour du pavillon, le monde entier était brouillé par le rideau mouvant qui mélangeait toutes les couleurs, le vert et le marron étaient brassés comme dans le tambour d’une machine à laver.

— On dirait que c’est l’océan qui nous tombe dessus ! fit Maya en souriant de toutes ses dents.

— Que d’eau ! fit Nirgal.

Le Premier ministre haussa les épaules.

— C’est comme ça tous les jours, pendant la mousson. Il pleut encore plus qu’avant, et il pleuvait déjà beaucoup.

Nirgal secoua la tête et sentit une soudaine douleur lui poignarder les tempes. La souffrance de la noyade. L’air était trop humide.

Le Premier ministre leur expliquait quelque chose, mais Nirgal ne la suivait plus. Il avait trop mal à la tête. N’importe qui dans le mouvement d’indépendance pouvait devenir membre de Praxis. Au cours de la première année, ils participaient à la construction de centres comme celui-ci. Le traitement de longévité était automatiquement offert à tous les adhérents. Il était administré dans les nouveaux centres. On pouvait aussi se faire greffer des implants contraceptifs réversibles. Beaucoup y avaient recours à titre de contribution à la cause.

— Plus tard, les bébés, voilà ce que nous leur disons. Vous aurez tout le temps.

Presque tout le monde les avait rejoints. L’Armscor avait dû adopter les méthodes de Praxis pour garder ses employés, et peu importait à présent à quelle organisation on appartenait. Sur Trinidad, elles se valaient à peu près toutes. Ceux qui venaient de recevoir le traitement participaient à la construction de nouveaux logements et d’équipements hospitaliers ou travaillaient dans l’agriculture. Trinidad était une île plutôt prospère, avant l’inondation, grâce à l’effet combiné des réserves pétrolières et de l’investissement dans le socle du câble. La résistance s’était peu à peu constituée, pendant les années qui avaient suivi l’arrivée honnie de la métanat. Il y avait maintenant une infrastructure croissante consacrée au projet de longévité. La situation était prometteuse. Tous ceux qui travaillaient à la mise sur pied d’un camp se voyaient promettre le traitement. Les gens étaient évidemment prêts à tout pour défendre ces endroits. Même si l’Armscor l’avait voulu, ses forces de sécurité auraient eu le plus grand mal à s’emparer d’eux. Et quand ils y seraient arrivés, ça ne leur aurait rien donné : ils avaient déjà le traitement. Ils pouvaient donc se résoudre au génocide s’ils voulaient, mais à part ça, ils avaient peu de chances de jamais reprendre le contrôle de la situation.

— L’île leur a tout simplement tourné le dos, conclut le Premier ministre. Aucune armée n’y peut rien. C’est la fin du système de castes basé sur l’économie. La fin de tous les systèmes de castes. Il y a quelque chose de nouveau, un nouvel élément dugla dans l’histoire, comme vous disiez dans votre discours. Une sorte de petite Mars. Alors vous voir ici, vous, un petit-fils de l’île, vous qui nous avez tellement appris dans votre nouveau monde si beau – ça, c’est vraiment quelque chose de spécial. Un festival pour de vrai.

Et encore ce sourire radieux.

— Qui était l’homme qui a parlé ?

— Oh, lui, c’était James.

La pluie cessa d’un seul coup. Le soleil creva les nuages, le monde se mit à fumer. Nirgal était ruisselant de sueur dans l’air blanc. L’air blanc, des taches noires tourbillonnantes. Il n’arrivait pas à reprendre sa respiration.

— Je crois que je ferais mieux de m’allonger.

— Mais oui, bien sûr. Vous devez être épuisé, vidé. Venez…

Ils l’emmenèrent vers un petit bâtiment, dans une salle claire aux murs tapissés de lanières de bambou, vide à l’exception d’un matelas sur le sol.

— J’ai peur que le matelas soit un peu petit pour vous.

— Ça n’a pas d’importance.

On le laissa seul. Quelque chose, dans la pièce, lui rappela la cabane d’Hiroko, près du lac de Zygote. Pas seulement les bambous, mais la taille et la forme de la salle, et une autre chose qui lui échappait, la lumière verte qui y pénétrait, peut-être. La sensation de la présence d’Hiroko était tellement forte et inattendue que lorsque les autres furent sortis, il se jeta sur le matelas et se mit à pleurer. Une confusion totale de sentiments. Il avait mal partout, mais surtout à la tête. Il arrêta de pleurer et sombra dans un profond sommeil.

Mars la bleue
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